Les limites historiques : une mauvaise connaissance de l’autisme

Jusqu’aux années 1990 et 2000, l’autisme était encore largement méconnu dans le grand public, mais aussi dans le milieu médical. Pendant des décennies, l’autisme a été réduit à des formes sévères, visibles dès l’enfance, souvent associées à une déficience intellectuelle. Ceux qui développaient des compétences adaptatives fortes ou qui n’avaient pas de déficits marqués dans la communication pouvaient ainsi passer inaperçus.

Le concept de trouble du spectre de l’autisme (TSA), avec toutes les subtilités qu’il recouvre, est relativement récent. Ce n’est qu’avec les révisions des classifications internationales comme le DSM-5 en 2013 que des notions comme l’autisme sans déficience intellectuelle ou le syndrome d’Asperger ont trouvé un cadre précis. Cela signifie qu’un adulte aujourd’hui âgé de 50 ou 60 ans a grandi dans un contexte où son profil n’était pas pris en compte par les spécialistes.

Le poids des stéréotypes : une vision biaisée et excluante de l’autisme

Outre les limites historiques, les stéréotypes jouent un rôle fondamental dans les diagnostics tardifs. L’image « classique » de la personne autiste reste trop souvent celle d’un enfant garçon, non verbal, avec des comportements stéréotypés. Ces clichés occultaient – et occultent encore dans certains cas – la réalité d’un spectre très vaste et diversifié. Cela conduit à une double injustice :

  • De nombreuses femmes sont sous-diagnostiquées. En effet, les stéréotypes de genre masquent les signes de l’autisme féminin. Les filles autistes ont souvent une meilleure capacité à masquer leurs différences (on parle de camouflage), ce qui leur permet de répondre aux attentes sociales, mais au prix d’un épuisement chronique.
  • Les personnes dites « hautement fonctionnelles », malgré les termes parfois controversés, subissent également un retard dans leur diagnostic. Leurs forces et leurs adaptations compensatoires cachent souvent des difficultés importantes, comme l’anxiété, la dépression ou l’épuisement professionnel.

La confusion entre les différentes manifestations de l’autisme et les troubles psychiatriques ou neuropsychologiques – comme l’anxiété, la bipolarité ou les troubles obsessionnels-compulsifs – aggrave encore plus ce problème d’identification.

Un système médical parfois mal formé

Le diagnostic de l’autisme nécessite une expertise spécifique qui n’est pas toujours disponible dans les structures de soin. De nombreux professionnels de santé, y compris des médecins généralistes ou des psychiatres, n’ont reçu que peu ou pas de formation sur les troubles du spectre autistique. Cette lacune fait que certains adultes voient leurs signes attribués à d’autres problématiques (dépression, troubles de la personnalité, schizophrénie, etc.).

Un exemple concret est l’accès limité aux équipes pluridisciplinaires capables de poser des diagnostics approfondis, notamment dans certaines zones géographiques comme les zones rurales. Selon une enquête réalisée en France en 2020 par l’association Autisme France, les délais d’attente pour obtenir un diagnostic dans une unité spécialisée dépassent souvent un an. Pour les adultes, qui n’ont en général pas de priorités dans ces files d’attente, cette temporalité freine encore davantage le processus.

Les facteurs personnels : camouflage, adaptation et déni

Pour plusieurs adultes autistes non diagnostiqués, un aspect clé réside dans leur propre capacité à « s’adapter ». Ces mécanismes, appelés camouflage ou masking, consistent à adopter des comportements socialement acceptés afin de passer inaperçus dans les interactions sociales. Cette adaptation peut fonctionner durant des années, au prix d’un stress énorme et d’un épuisement croissant.

Pour d’autres, l’absence de diagnostic est simplement due au manque de repères. Si l’autisme n’est pas évoqué dans l’éducation ou dans leur environnement culturel, ils peuvent ne jamais envisager que leurs différences soient liées à un TSA. Cela est particulièrement vrai dans les générations où la santé mentale restait un sujet tabou ou sous-estimé.

Enfin, il existe parfois une forme de déni, dans lequel les personnes elles-mêmes minimisent leurs difficultés ou leur sentiment de ne pas correspondre aux normes, y voyant une simple « bizarrerie » ou une « manière d’être » sans autre explication.

Les conséquences d’un diagnostic tardif

Un diagnostic tardif peut entraîner des conséquences profondes, tant sur le plan émotionnel que pratique. Vivre la majeure partie de sa vie sans connaître son fonctionnement neurodivergent peut engendrer :

  • Un sentiment prolongé d’incompréhension ou d’isolement.
  • Une accumulation de troubles associés non traités, comme l’anxiété, la dépression ou l’épuisement professionnel.
  • Un manque d’accès aux ressources et aux aménagements nécessaires, aussi bien dans le monde professionnel que dans la vie quotidienne.

À l’inverse, obtenir un diagnostic, même tardif, peut transformer la trajectoire d’une personne. Cela permet une meilleure compréhension de soi, un accès aux aides adaptées et souvent une réconciliation avec son propre passé, parfois lourd de malentendus et de jugements erronés.

Les pistes pour améliorer la situation

Pour éviter de reproduire cette situation dans les générations futures et améliorer celle des seniors concernés aujourd’hui, plusieurs changements sont nécessaires :

  1. Former les professionnels de santé : sensibiliser davantage les médecins et psychiatres à la diversité des profils autistes, y compris chez les adultes et les seniors, est une étape clé.
  2. Améliorer l’accès au diagnostic : mettre en place des équipes pluridisciplinaires sur tout le territoire, en réduisant les délais d’attente pour les consultations spécialisées.
  3. Sensibiliser le public : mieux faire connaître les signes de l’autisme dans des campagnes générales d’information pourrait permettre à plus de personnes de se poser les bonnes questions.
  4. Valoriser les témoignages : les récits d’adultes diagnostiqués tardivement offrent un miroir précieux pour ceux qui se questionnent sur eux-mêmes ou leurs proches.

Une nouvelle reconnaissance pour un meilleur accompagnement

Bien que le diagnostic tardif de l’autisme reste un problème encore largement répandu, des améliorations sont possibles. La montée en puissance de la sensibilisation, de la formation et des témoignages publics favorise une meilleure compréhension du spectre autistique et de ses manifestations. Donner les moyens aux adultes concernés de poser un diagnostic, peu importe leur âge, c’est reconnaître la diversité humaine et leur permettre de vivre pleinement, en accord avec leur propre fonctionnement. Une démarche essentielle et urgente pour une société plus inclusive.

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