Autisme et vieillissement sensoriel : de quoi parle-t-on ?

Le vieillissement affecte toutes les personnes, mais la façon dont il impacte les sens ‒ la vue, l’ouïe, le toucher, l’odorat, le goût ‒ peut varier considérablement selon les individus. Pour les personnes autistes, déjà concernées tout au long de leur vie par des particularités sensorielles, le vieillissement sensoriel apporte des défis et des besoins spécifiques, trop peu pris en compte par les acteurs du médico-social et les décideurs.

Selon le rapport INSERM « Autisme, Quelles perspectives pour la recherche ? » (2022), près de 90 % des personnes autistes présentent des particularités sensorielles durant leur vie. À l’âge adulte et plus encore au grand âge, ces différences restent largement invisibilisées. Pourtant, il ne s’agit pas d’un simple accent mis sur une question médicale, mais d’un enjeu central de qualité et de dignité de vie.

Sens atypiques et vieillissement : un double défi pour les personnes autistes

Dès l’enfance, et cela se poursuit à l’âge adulte, beaucoup de personnes sur le spectre présentent :

  • Une hypersensibilité ou une hyposensibilité à certains stimuli sensoriels : sons, lumières, textures…
  • Des difficultés à filtrer les informations sensorielles pertinentes (bruits de fond, lumières vives, odeurs), ce qui peut provoquer du stress ou des comportements d’auto-apaisement.
  • Un besoin accru d’adapter l’environnement pour prévenir l’inconfort, la fatigue ou la surcharge sensorielle.

Avec l’avancée en âge, le fonctionnement sensoriel de la population générale évolue : presbytie, baisse d’acuité auditive (presbyacousie), diminution du goût et de l’odorat, entre autres. Mais pour les personnes autistes, ces changements ne font pas que s’ajouter : ils interagissent de façon complexe avec des particularités déjà présentes, démultipliant les besoins d’adaptation.

Ce qui distingue le vieillissement sensoriel chez les personnes autistes

L’hypersensibilité ou l’hyposensibilité : un vécu qui persiste

Contrairement à certaines idées reçues, la sensibilité particulière aux stimuli sensoriels ne tend pas à « s’atténuer » avec l’âge chez la plupart des personnes autistes. Au contraire, le cumul avec les altérations sensorielles liées au vieillissement classique peut amplifier certains inconforts. Par exemple :

  • Un senior autiste hypersensible au bruit peut devenir encore plus vulnérable au stress si sa presbyacousie déforme les sons ambiants, rendant les voix imprécises et les bruits de fond plus agressifs.
  • Une défaillance de la vue peut accentuer le besoin de repères tactiles et amplifie, chez certains, le refus de contacts physiques non anticipés.
  • Les troubles de l’équilibre, parfois liés à l’altération du système vestibulaire, peuvent être plus difficiles à compenser en cas de trouble du traitement sensoriel préexistant (source : article Handéo, « Vieillissement sensoriel et handicap », 2021).

Des mécanismes d’adaptation fragilisés

Nombreuses sont les personnes autistes qui, au fil des années, ont développé des stratégies personnelles : port de lunettes de soleil, casques anti-bruit, routines lors des repas, aménagement du logement. Malheureusement, avec le vieillissement, ces stratégies sont mises à l’épreuve :

  • La diminution de la mobilité ou l’apparition de maladies neurodégénératives limite l’accès et l’utilisation des outils d’apaisement (par exemple, manipuler un casque anti-bruit est parfois difficile avec de l’arthrose).
  • L’altération des capacités cognitives, même mineure, complexifie l’adaptation aux changements sensoriels du quotidien.
  • Le manque de formation des équipes d’accompagnement pour reconnaître ces besoins spécifiques persiste, surtout dans le droit commun (EHPAD ou résidences autonomie).

Conséquences concrètes sur la qualité de vie

Les conséquences d’une mauvaise prise en compte du vieillissement sensoriel chez les personnes autistes sont multiples et profondes :

  • Augmentation des troubles du comportement (retirance sociale, auto-agressivité, cris, etc.) : souvent, le mal-être sensoriel est interprété à tort comme un trouble psychiatrique, alors qu’il relève d’un besoin non satisfait.
  • Risque accentué de désorientation et de chutes : les ajustements sensoriels jouent un rôle clé dans la perception de l’espace et du mouvement.
  • Retrait social : le manque d’espaces sensoriellement adaptés rend difficile la participation à la vie collective et augmente l’isolement.
  • Détérioration de la santé globale : dénutrition (si textures ou odeurs dérangent), rhumes chroniques (refus de sortir pour cause de météo perçue comme hostile), ou sommeil perturbé par des variations lumineuses.

Une étude anglaise publiée par le National Autistic Society (2017) rapporte que 62 % des adultes autistes de plus de 50 ans déclarent éviter certains environnements sociaux à cause de leur inconfort sensoriel, contre 25 % des participants non autistes.

Un phénomène sous-estimé dans les politiques publiques et les pratiques professionnelles

Le Guide HAS (Haute Autorité de Santé, 2018) sur l’accompagnement des adultes autistes rappelle l’importance de l’aménagement sensoriel… mais consacre à peine une page aux problématiques liées au vieillissement. Les dispositifs spécialisés pour séniors autistes sont rares, et la formation des équipes en EHPAD ou à domicile reste une exception.

Dans les faits, la majorité des séniors autistes ne bénéficient que d’aménagements pensés pour la population générale vieillissante, sans prise en compte des particularités autistiques. Cela se traduit par :

  • Des espaces collectifs trop bruyants ou éclairés de façon inadaptée
  • Peu d’options sur les textures des repas ou le choix des vêtements
  • Des routines bouleversées par l’organisation institutionnelle.

Or, une étude canadienne (Polderman et al., 2021) démontre que le soutien sensoriel spécifique réduit de 40 % les comportements de stress et d’agitation chez les adultes âgés autistes.

Quelques pistes concrètes pour améliorer l’accompagnement

  • Réaliser une évaluation sensorielle personnalisée dès l’entrée dans un établissement ou lors d’un accompagnement à domicile. Cela implique d’interroger la personne, de recueillir les observations de ses proches, mais aussi de proposer un suivi régulier (car les besoins évoluent avec l’âge).
  • Favoriser la formation des professionnels aux enjeux du vieillissement sensoriel en autisme : détection des signes d’inconfort, mise en place d’aménagements simples, compréhension des modes de communication non verbaux.
  • Aménager les espaces : limiter le bruit de fond, permettre de moduler la lumière, créer des espaces de retrait sensoriel, proposer plusieurs types de textures pour les repas et vêtements.
  • Respecter les routines : le vieillissement s’accompagne souvent de nombreuses ruptures (changements de domicile, de professionnels référents…) ; il est crucial de préserver autant que possible les repères et stratégies mises en place.
  • Soutenir l’innovation dans le secteur médico-social, pour expérimenter des solutions nouvelles : écouteurs sur-mesure, outils numériques de médiation sensorielle, etc.

Pour aller plus loin : donner la parole, renouveler la recherche

Les séniors autistes sont encore peu entendus dans les débats publics et les études de terrain. Pourtant, écouter leurs témoignages et ceux de leurs proches, valoriser les initiatives qui fonctionnent sur le terrain – comme les espaces sensoriels dédiés dans certains habitats inclusifs (ex : projet « Sens’Age » en Gironde, 2023) – est essentiel.

L’enjeu pour les années à venir : stimuler la recherche dédiée au vieillissement sensoriel chez les personnes autistes, afin de produire des données épidémiologiques spécifiques (taux d’hypersensibilité/hyposensibilité chez les plus de 60 ans, nature des adaptations les plus efficaces, impact sur la santé mentale…). Cela suppose une mobilisation collective des décideurs, chercheurs, professionnels, mais aussi des associations de familles et de personnes concernées.

Reconnaître la spécificité du vieillissement sensoriel chez les personnes autistes, c’est faire un pas de plus vers une société où chacun peut vieillir avec dignité, sécurité et selon ses propres besoins.

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